Parfois, il est des époques où la guerre et le combat l’ont emporté. Souvent, il est des combats lointains qui demeurent nécessaires. Toujours l’arme à la main, on nous a dit qu’il était bon de prendre la terre de son voisin. Jamais, ou presque, l’on a su tirer parti de la puissance des mots pour faire s’abattre la vigueur mégalomane des esprits guerriers. Le livre dans lequel je me suis plongé narre et représente presque à lui seul tout l’intérêt de ce que je viens dire. Il émet un état des lieux nécessaire sur une condition en particulier. La condition féminine. Il s’agit d’un morceau d’un livre nommé Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir : « La femme indépendante ». Parlons d’abord un peu d’histoire française. Après les lais de Marie de France, en 1405 paraît un récit allégorique de Christine de Pizan nommé La Cité des Dames. Insistant sur la nécessité déjà de redonner une place plus considérable aux femmes, le texte de Pizan est une réaction à une œuvre italienne de l’auteur Boccace Les Femmes illustres. Bien que ce dernier présente au sein de son texte certaines femmes remarquables, l’auteur ne se prive pas de donner sa propre vision des défauts qu’on jugerait, à cette époque, féminins. Aussi, Pizan présente la noblesse de la dame comme celle d’un esprit dans le cadre de son texte. C’est, en soi, une grande revendication puisque, jusque là, la femme ne pouvait somme toute justifier de la noblesse de son sang que par sa naissance. Dans ce même livre, les femmes peuvent apporter leur pierre à l’édifice social. Pizan n’hésite pas, et on l’en remercie, à dénoncer les viols et le fait que les hommes ne sont pas tout à fait ravis qu’une femme puisse recevoir la même éducation qu’un homme. Elle va même publier, peu de temps après, Le livre des trois vertus à l’enseignement des dames où l’auteure donne toute une dimension pédagogique à son texte. Il s’agit, somme toute, d’un guide pour les mondanités adressé aux femmes. Outre cela, ce précis s’adresse autant à la princesse qu’à la villageoise, donnant presque avant l’heure une dynamique sociale à son écrit. Les trois vertus évoquées dans le titre étaient déjà présentes dans l’ouvrage précédent, il s’agissait de Droiture, Raison et Justice, trois allégories dictant presque à Pizan les conduites à tenir. Déjà l’on donnait un coup de pied dans la fourmilière des bases patriarcales. Les siècles suivants témoignent de la (timide) présence féminine, souvent assujettie à une société d’hommes qui dirigent le pouvoir. Marguerite de Valois, forcée d’épouser Henri IV, Catherine de Medicis sa mère, régissant des complots. Louis Labé avec son « je vis je meurs » et bien sûr, au XVIIe siècle Madame de Sévigné, ses célèbres lettres, et les différentes femmes influentes de salons comme Madame de la Sablière (qui protégera La Fontaine après la révocation et l’emprisonnement de Fouquet) ou bien encore, au XVIIIe, Madame Tallien. Encore une fois, ici figurent des noms de femmes influentes mais rarement en porte-à-faux des politesses requises aux femmes aux différentes époques évoquées. Et puis, du sang des gentilshommes, on entendit souvent parler de Charlotte Corday, connue pour avoir assassiné dans sa baignoire le révolutionnaire Jean Paul Marat, lectrice assidue des Lumières dans sa jeunesse dirigée. Il faut bien attendre l’avènement, en 1791, en pleine Révolution, de la Déclaration de la Femme et de la Citoyenne d’Olympe de Gouges, fille d’un boucher et d’une représentante d’une famille de drapiers. Il s’agit, lors, d’un pastiche destiné, comme l’avait finalement fait Pizan en son temps, à critiquer le droit, beaucoup trop masculin, à participer aux choses publiques. Femme courageuse d’autant plus qu’avec la question du droit de la femme, elle s’attaque violemment à la question de l’esclavage, notamment avec Zamore et Mirza au théâtre. Il faut attendre 1792 pour qu’une première loi française paraisse sur la question du divorce. Il est dit qu’en 1798, dans la Capitale, un mariage sur trois est rompu. (Allez savoir pourquoi…) Une figure lorraine, Madame de Graffigny, pourra d’ailleurs divorcer de son mari violent, qui la battait régulièrement. Cette première loi sera abrogée en 1816.
Le XIXe siècle ( oui, pour une fois, je vais le survoler… ne croyez pas toutefois que je lui pardonne son manque d’investissement dans la légalité en faveur de la Femme...) débute avec la brillance juridique du Code Civil en 1804, fondé par Napoléon Ier. Pourtant, cet ensemble élargi de bases sociales sur lesquelles on se fonde encore, bien qu’améliorées, précise que la femme passe de l’autorité de son père à celle de son mari, à qui elle doit obéissance. En 1880, le député Camille Sée propose l’enseignement aux filles. La loi passera. En 1920, l’avortement est interdit. En 1942, il est jugé, par Vichy, « crime contre l’état » passible de la peine de mort. Brillance toutefois en 1944 où nos homologues féminines (Allez les filles!) obtiennent le droit de vote.
Et c’est en 1949 que Simone de Beauvoir va publier Le Deuxième Sexe. Ouvrage de référence du féminisme, elle s’attaque, avec « La femme indépendante » à la question de l’aliénation de la femme à l’homme. « Le Code Français, nous dit-elle, ne range plus l’obéissance au nombre des devoirs de l’épouse et chaque citoyenne est devenue une électrice ». Pourtant, Beauvoir s’attache à accorder de l’importance à ces deux notions par le prisme de la liberté économique. Sous-entendu, c’est par son seul et unique labeur, et dès lors, par son affranchissement économique, que la femme peut sciemment exercer son indépendance. Elle évoque, un peu plus tard, la question du prestige viril. « Il se trouve que ses réussites sociales ou spirituelles le douent d’un prestige viril. Il n’est pas divisé. Tandis qu’il est demandé à la femme pour accomplir sa féminité de se faire objet et proie, c’est à dire de renoncer à ses revendications de sujet souverain. Simone de Beauvoir reproche le cadre de passivité dans lequel on tente allègrement d’enfermer la femme. Même si j’abonde totalement dans cette vérité qui est que les vêtements féminins et surtout les injonctions liées à eux sont fortes, j’ai du mal à me positionner sur les propos suivants : « Elle [la femme] est jugée, respectée, désirée à travers sa toilette [jusque là on ne peut qu’être d’accord]. Ses vêtements ont été primitivement destinés à la vouer à l’impotence [d’accord également, si l’on exemplifie le cas de ces fameux talons que je pourrais trouver certes séduisants, mais qui obligent la femme à se tenir tellement guindée que la seule pensée de sollicitude envers elle m’oblige à lui préférer de simples chaussures], les bas se déchirent, les talons s’éculent, les blouses et les robes claires se salissent. » Ici vient la difficulté pour moi. Les derniers mots de Beauvoir ne peuvent à mon sens raisonner et convaincre que si l’on vient donner beaucoup d’appui au sens figuré. Alors, le propos devient, ou est, métaphorique. Et j’espère sincèrement qu’il l’est, sinon, je trouverais le propos trop évident, voire facile, que pour seoir à une féministe de sa trempe.
En outre, elle évoque, fait plutôt positif, le fait que certains hommes commencent à se soucier de la condition féminine. Prions pour que notre plus contemporaine modernité voit chacun de ses mâles considérer la femme et l’homme en parfaite coexistence. Mais hélas, et Beauvoir en parle juste après, la sexualité et la vie sentimentale de la femme rencontre « de nombreux obstacles ». Elle n’a pas en soi les mêmes accès que les hommes. Beauvoir évoque par exemple le cas des maisons closes, où la femme ne pouvait pas encore obtenir, dit-elle, « un soulagement » aussi mécaniquement que l’homme. Mais elle évoque aussi le fait que la femme soit plus facilement atteinte par les maladies vénériennes. « Elle n’est jamais, précise-t-elle par ailleurs, tout à fait assurée contre la menace d’un enfant ». Fort heureusement, l’année 1967 autorisera la contraception, mais il faudra attendre bien des dizaines d’années avant que tout ceci se développe, la contraception féminine également, mais je peine à croire que, même encore aujourd’hui, elle demeure à l’abri du danger. L’auteure met un point d’honneur à définir la place de la femme, comme celle, hélas, d’une proie, et ce, même si elle souhaite prendre une initiative : « Que la femme se propose trop hardiment, l’homme se dérobe : il tient à conquérir. La femme ne peut donc prendre qu’en se faisant proie : il faut qu’elle devienne une chose passive, une promesse de soumission. » J’aime à vrai dire beaucoup le fond du propos de Beauvoir. Même si je tends à pardonner le masculin dans son ensemble, j’ai de plus en plus horreur de cette posture masculine, immensément virile, qui consiste à être acteur de la soumission. « Il faut, pour que je sois Homme, que les gens m’obéissent Blablabla». Il est des profils d’hommes, dont je crois faire partie, qui se contentent très bien d’assumer une virilité moins problématique. Je reconnais toutefois que toute l’éducation qu’on donne primairement à un homme tend à faire de lui une machine de pouvoir. D’ailleurs, quel homme pourrait dire qu’il n’a jamais eu le malheur d’agir, même par le plus anodin des comportements, par une virilité qui pourrait apparaître comme problématique. Je tiens ma conscience féministe et j’en suis fier. Je l’ai développée au fil de mes rencontres et il m’a fallu le trésor des années que pour prendre conscience du fait que, comme mes homologues masculins, j’agissais parfois avec une posture de conquérant, sans même en avoir la moindre conscience. Il me plaît aujourd’hui de voir la société moderne conchier certains de ces comportements. Je lui apporte souvent mon soutien sur ce point.
Beauvoir, après avoir parlé de la posture de la femme vis-à-vis de l’amour, parle de la maternité. « En France, elle [la femme] est souvent acculée à des avortements pénibles et coûteux. » Fort heureusement, l’État aura remédié à cela. Aujourd’hui, un acte d’interruption volontaire de grossesse est pris en charge à 100 % par la Sécurité Sociale. Louons fort bien d’ailleurs la volonté, aujourd’hui acquise à l’heure de la rédaction de cette chronique, d’inscrire dans la Constitution le droit à l’IVG. Simone Veil serait fière. Revenons toutefois à Beauvoir. Son projet est de présenter les difficultés de la femme et la réalité que son indépendance demeure encore, à l’époque de la publication du Deuxième Sexe, très compliquée. Elle parlera de son accès à l’érudition et conclura, en avançant la nécessité, pour les deux sexes, d’un accord qui pourrait « aisément s’établir ». Elle dit toutefois chaque camp « complice de son ennemi ». La femme poursuivrait un rêve de démission, et l’homme, d’aliénation.
Ce que l’homme et la femme haïssent l’un chez l’autre, c’est l’échec éclatant de sa propre mauvaise foi et de sa propre lâcheté. [...]En vérité, l’homme est comme la femme une chair, donc une passivité, jouet de ses hormones et de l’espèce, proie inquiète de son désir. […] ils vivent chacun à sa manière l’étrange équivoque de l’existence faite corps. Dans ces combats où ils croient s’affronter l’un l’autre, c’est contre soi que chacun lutte, projetant en son partenaire cette part de lui-même qu’il répudie […] Le fait d’être humain est infiniment plus important que toutes les singularités qui distinguent les êtres humains […] il semble à peu près certain qu’elles [les femmes] accéderont d’ici un temps plus ou moins long à la parfaite égalité économique et sociale, ce qui entraînera une métamorphose intérieure.[…] Affranchir la femme, c’est refuser de l’enfermer dans les rapports qu’elle soutient avec l’homme, mais non les nier; qu’elle se pose pour soi, elle n’en continuera pas moins à exister aussi pour lui. […] C’est au sein du monde donné qu’il appartient à l’homme de faire triompher le règne de la liberté. […] il est entre autres nécessaire que par-delà leurs différenciations naturelles hommes et femmes affirment sans équivoque leur fraternité
J’abonde, là aussi, considérablement dans le propos de Beauvoir. Et l’optimisme des dernières paroles citées ici me permet d’embrayer sur un constat qu’il me tient à cœur de partager. La cause féminine, ses droits en particulier, est encore un sujet dont les pages sont encore exposées sur la table du débat. Il est, en outre, évident que la condition réservée à celles qui peuplent des pays soumis au joug de l’extrémisme est une honte indicible. Une horreur de l’humanité. Tout autant que les droits qu’on croit bon, pour toute conception fondée sur une éducation traditionaliste, de lui enlever. Mais chaque jour, je vois de plus en plus d’hommes et de femmes qui se tiennent la main, de concert, non pas pour avantager l’un ou l’autre, mais pour travailler ensemble à une « parfaite égalité ». Là où son expression demeure vaine, l’équité prend sa place. Ces mains qui se serrent sont une chance. L’homme apprendra de la femme, et il me semble bon de croire encore que, la femme apprendra de l’homme. C’est, en vérité, au Temps qu’il faut faire confiance, et en l’action de certains humains qui fondent les principes mêmes de l’Humanité. Depuis la loi sur l’IVG de Simone Veil et surtout sa récente inscription dans la Constitution de la Ve République, les droits de la femme ne cessent, malgré d’évidentes lourdes tensions et des conflits, de se renforcer. Continuons donc, chers amis, à s’interroger, à s’introspecter. A se demander comment nous pouvons, modestement, donner encore de la force à nos rapports amicaux, comment parfois même nous améliorer, hommes comme femmes, pour plus d’acceptation, et un meilleur vivre-ensemble. Et c’est unis qu’il faut aussi faire face à celles et ceux qui chercheraient à envenimer nos rapports, à condescendre l’un, comme l’autre.
Jamais, il y a encore quelques mois, je n’aurais cru autant apprécier une lecture de Simone de Beauvoir. Il m’a fallu, comme précisé un peu précédemment, faire, à la fois difficilement, et à la fois facilement, tomber mes préjugés, produits de nos peurs, qu’on sait, en chacun de nous, si nombreux. Quel beau pari ! Je n’avouerai pas abonder dans la totalité de son propos. Mais chaque jour que Dieu fait ( si tant est que ce soit bien lui…), la défense du droit des femmes et surtout le maintien de l’égalité entre les sexes me semble un pivot de notre société. Un débat inaliénable de notre fraternité. Chaque jour, je remets en question un peu de mes certitudes. Ô qu’il faut s’armer contre les tourments que cela procure. In fine, je ressens tout de même une forme de plénitude. Comme si cela ne me faisait que du bien. Quant aux stéréotypes, la chronique sur Barrès nous aura éclairée en contre-exemple là-dessus, mais c’est en faisant céder mes murs que je rencontre des soleils plus brillants encore.
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