On a souvent évoqué la poésie dans le cadre de ces petites chroniques. Tantôt romantique, avec des plumes telles que celle de Musset, ou tantôt rimbaldienne avec – faut-il le nommer – l’intemporel Arthur Rimbaud. Pourtant, chers lecteurs, on peine à savoir à quel point les poètes, et de manière générale, leur plume, apparaissent nécessaires en des temps comme les nôtres, qui se veulent si sérieux, si chiffrés. Au combien tendre à une forme de beauté, sans forcément savoir écrire un vers, est indiscutablement une voie à suivre, quand on se plaint continuellement de la laideur du monde. Chacun d’entre nous, au plus petit de sa vie qu’il juge parfois si sévèrement, peut faire de la poésie. Parce qu’avant d’être un texte récité, elle est une inspiration. Un cri du coeur. Un intermède. Dans ce monde si rapide, se consacrer une pause apparaît comme une gageure complexe, et sans qu’on y prenne garde, poétiser est une belle activité. Certains, le nez en l’air, musardent, sur leur lit, d’autres, font du sport. Je ne listerai pas les activités interminables qui peuvent parfois lutter âprement contre notre ennemi l’ennui. Quoiqu’il en soit, quelles qu’elles soient, ces activités tendent à nous apporter une forme d’inspiration, qui peut tendre à l’activité poétique. Après tout, qui a dit qu’il fallait savoir écrire, pour être poète ?!…
Oui, la poésie est une inspiration. Chez les romantiques, l’inspiration vient souvent d’une muse. Entité à laquelle se consacre, parfois obsessivement, le ou la poétesse. Chez d’autres, le mot est l’objet d’un jeu, on aura vu cela chez Georges Pérec au XXe siècle. Toutefois, j’ai bien envie de revenir aux origines. A ce moment, parfois trop sous-estimé voire fantasmé, que l’on appelait l’Antiquité. Lorsque nous abordions, il y a quelques mois, Aristophane et la comédie, nous avions déjà un pied dans l’Antiquité théâtrale, quasi sociale. Mais je veux parler de poésie. Nécessairement, on s’attend à lire que la poésie est un objet divin. Et évidemment… C’est le cas. Dans l’Antiquité, la poésie prend la voix de ceux qu’on appelle des aèdes. Mais qui sont-ils ? Les aèdes sont des artistes qui, et les futurs jongleurs moyenâgeux s’en inspireront, chantent des épopées, accompagnant leur parole de musique qu’ils produisent eux-mêmes par le biais d’un instrument qu’on appelle le phorminx. (Pour vulgariser, pensez à cette lyre que possède Assurancetourix dans Astérix!). L’un des aèdes grecs les plus connus est Homère qui composera L’Iliade et L’Odyssée. Mais comment parler d’aède, de poète, sans évoquer la parole de Platon, qui, philosophant, parlait du poète dans la société antique… Lançons-nous !
Ce qui a tendance de se dire le plus souvent quand on aborde la question de l’existence du poète chez Platon est le fait qu’il faut indiscutablement le chasser de la cité. Ainsi, on a tendance à croire que le poète est un illuminé ( Rimbaud l’aura prouvé, après tout!) dangereux. Dans le livre X de La République, Platon précise qu’il faut chasser les poètes de la cité, en la personne d’Homère. Toutefois, ce n’est pas tant sa folie qui est pointée du doigt comme cause d’un rejet efficace. Mais alors, qu’est-ce ? C’est le rapport à la (non) vérité de la parole poétique. Et donc, de fait, de l’illusion procurée par elle. La quête de cette vérité pour l’Homme est essentielle chez Platon, à tel point que l’illusion est dangereuse pour ce dernier et ses homologues. Il l’aura assez prouvé avec sa théorie de la caverne. Pour autant, Platon, par l’intermédiaire de Socrate, ne condamne pas unanimement la parole poétique. Il veut même que nous l’écoutions, mais attention, avec prudence ! Finalement, la bonne imitation est celle qui représente le divin tel qu’il est. (Pour les plus consommateurs de séries ou de films, Platon, devant Harry Potter et la Coupe de Feu, se serait offusqué de voir qu’on a adapté le matériau original de Rowling sans parler de la fameuse S.A.L.E [société d’aide à la libération des elfes de maison]). Mieux, la poésie et la musique rentrent dans le processus d’éducation des gardiens de la cité. Mais alors, d’où viendrait l’inspiration du poète, quelle forme prend-t-elle donc pour qu’il dût se faire houspiller de la sorte ?
C’est qu’avant tout, le poète délire. « Car tous les poètes, nous dit Socrate dans le Ion de Platon, disent tous leurs beaux poèmes non en vertu d'un art, mais parce qu'ils sont inspirés et possédés ». D’ailleurs, Socrate précise aussi que les plus beaux poèmes « n'ont pas un caractère humain et ne sont pas l'œuvre des hommes mais qu'ils ont un caractère divin et qu'ils sont l'œuvre des dieux et que les poètes ne sont que les interprètes des dieux, quand ils sont possédés quelque soit la divinité qui possède chacun d'eux. ». Il est bien là flatteur de constater que la poésie est une affaire divine, non ?! Toujours selon certains philosophes de l’Antiquité, elle serait l’art le plus élevé des disciplines humaines. Alors, le délire, c’est la discussion entre le dieu et l’homme. L’homme ayant reçu l’inspiration et la parole divine, va donc la propager. Mais pour reprendre les propos de La République, cette dernière ne sera qu’une imitation, et non pas la représentation telle qu’elle devrait être.
En définitive, que le poète délire, qu’il soit inspiré par sa muse, ou qu’il s’amuse simplement avec les mots, il crée. N’oublions pas que l’origine étymologique du poète, en grec, nous donne un sens de fabricateur. Finalement, celui ou celle qui poétise n’est pas loin de celui ou celle qui construit. Lorsque nous abordions les ponts crées par la poésie de Desbordes-Valmore, nous rappelions que ces derniers étaient précieux. Ils doivent s’appliquer dans une société qui, elle, s’applique à les détruire. Le poète, lui, devra fabriquer. C’est lui, tel un Vulcain, qui devra poser les premières pierres d’un pont où viendront se rencontrer les Hommes...