"La Rose Dégoupillée" ou le chemin de vie d'une résistante
On l'a nommée "Rainer". Elle aurait pu s'appeler "Courage", Rilke ne l'avait pas connue, mais Elle s'appelait Madeleine Riffaud
Après une petite pause estivale mes chers lecteurs, je vous propose de nous emparer aujourd’hui d’un sujet qui m’a particulièrement saisi alors que je parcourais une étagère pleine de livres à la bibliothèque. Pleine de BD, si je devais être plus précis. Vous le savez je suis à la lecture ce que l’infidèle est, hélas, à l’amour, -- il est bien là le seul reproche d’infidélité qu’on pourra un jour me faire -- et il m’a fallu un petit temps avant de me plonger sereinement dans cette lecture. Occupé, l’esprit embrouillé par les scories de ma chronique sur Musset, qui agite dans l’âme des tourments qu’on voudrait voir vivre et qu’on doit finalement étouffer. J’ai la volonté de vous embarquer pour parler un peu de Résistance Française, et d’une figure féminine de cette Résistance : Marie-Madeleine Riffaud, dit « Rainer » pour les plus soucieux des pseudonymes de résistants. Grande femme, poétesse de talent sachant parfaitement conjuguer le souvenir à l’émotion et le rythme à la vérité. En 1945, Paul Eluard l’aidera à publier ses poèmes et, pour la Libération de Paris, dirigera un bataillon rempli de ces fascinantes créatures, qui savent nous étonner parfois, nous surprendre toujours et hélas, il faut le dire, quelques fois nous écœurer, j’ai nommé : les hommes. La BD dont je m’apprête à vous parler est nommée Madeleine, Résistante et est le fruit d’une union créatrice entre les traits fins de Dominique Bertail et le scénario de JD Morvan et, pour un soupçon essentiel de véridicité : Madeleine Riffaud. Publiée en 2021, elle offre à l’âme traumatisée, post-covid, une pause. Cela remue l’âme et c’est pudique. Les véritables émotions ne s’expriment pas toujours par la cruelle tendresse des mots. L’image, parfois, et le succès des traits, vient accoucher de plus belles sensibilités. Cette BD vous propose de retracer des étapes de vie de « Rainer »… Mais alors, pourquoi Rainer ? Madeleine Riffaud nous explique, dans le récit intime et profond de sa vie, sa lecture de L’Eligie de Duino deRainer Maria Rilke, écrivain autrichien, mort d’une leucémie après avoir été piqué par une incisive rose, métaphore de la vie. Et sa vie, à Madeleine Riffaud, eh bien c’était son grand-père, que le Destin lui aura confisqué pour, souhaitons-le, de meilleurs repos. Le fameux grand-père qui avait planté une roseraie. Certains pour la paix, ont voulu planter un oranger, d’autres, pour l’Amour, alimentent des rosiers. Alors, on l’appellera « Rainer ».
On la sent déjà mugir, l’intrigante et indomptable poésie. Ce premier tome – car oui, il y en aura plusieurs – est nommé « La Rose Dégoupillée ». Un titre métaphorique que mes grosses pattes d’oie, gavée au son de l’analyse littéraire qui fait d’une virgule une affaire d’État, se chargent, pour vous autres confidents de la lettre, de doucement dévêtir. La brutalité silencieuse et la violence de la collaboration, l’invasion allemande va faire se dégoupiller la bombe. Déjà par un obus, retrouvé dans une forêt, qui se chargera d’exploser, emportant avec lui quelques bambins que l’innocence n’aura pas préservés. L’horreur de l’humiliation par le viol et les traces psychologiques. Et la gifle de l’officier allemand quand Rainer tente courageusement de demander un brancard pour son grand-père, souffrant de la hanche. Les planches, bulles ponctuant des horizons d’un bleu impressionnant, offrent à son spectateur des virgules adorables.
Les poèmes de Marie-Madeleine Riffaud viennent caresser ou surprendre nos cœurs meurtris par la vérité d’une époque qui n’aura laissé presque que des cicatrices. Parfois passait le bonheur, comme ce récit du premier amour, non-loin du sanatorium grenoblois, mais la Guerre est un déchirement. Déchirement des corps, des gueules, des esprits, et surtout des coeurs. Bertail dessine, et nous sommes séduits. Pour les plus curieux, Madeleine Riffaud a publié bien des écrits dont il faut pouvoir avoir lu au moins quelques lignes… Parmi eux, Le Courage d’Aimer en 1949, essai, ou alors une anthologie poétique parue en 1973 nommée Cheval Rouge. Reste seulement l’insondable constat des années de guerre. Rainer viendra les réciter pour rappeler la nécessité de « ne pas oublier ». Seuls de loquaces silences peuvent alors crier la difficulté de vivre. Oui, vivre, cette étrange affaire où il faut, pour exister, trouver le juste choix entre la réalité et se raconter des histoires. Ici, on choisit de raconter l’Histoire. La Vraie. Non pas celle du livre, mais du vécu. Se voulant rassurants, on contemple parfois des miroirs en y voyant un autre, et sans doute Marie-Madeleine Riffaud, vous, ou moi, tutoyons cet étranger que l’on peine parfois à reconnaître et l’on lui murmure : « Ca ira mieux. Demain, nous serons amis. » Somme toute, nous aurons fait la paix avec le degré des horreurs qui nous auront traumatisées. Certains auront subi les camps, d’autres la perfidie des actes silencieux, crachés au visage de la dignité… . On ne saurait savamment étendre la liste des terres infertiles où, comme je le dis si souvent, il faut savoir y faire pousser des fleurs.