Les chroniques et les songes

Tous les quinze jours, je vous propose une petite chronique inspirée par un(e) auteur(e) et une œuvre qui me passionnent

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Par Lucas Da Costa
29 mai · 4 mn à lire
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Musset au fil de sa "Nuit d'Octobre"

Confessions amoureuses de l'enfant du siècle

Il est des jours où la mélancolie créatrice vous fait parfois accoucher des stupeurs un peu de l’or des jours heureux. C’est sans doute le cas du poète qui s’est oublié dans l’amour. Mais quand bien même s’oublie-t-il, n’est-il pas, plus certain, d’avoir passionnément aimé ? Car après tout, l’amour, n’est-ce pas pour cela que beaucoup d’entre nous se battent, corps et âme ; et combien se plaignent, à l’heure de la mort, de ne pas avoir assez aimé, lors même qu’ils s’y sont employés jours et nuits, vivants comme jamais au fond de leur cœur. Aujourd’hui, Musset, et sa « Nuit d’Octobre » nous enchantera d’un peu de la douleur des ruptures qu’on ne veut jamais et qui s’imposent à nous, comme des décisions affreuses qui nous déchirent. Comme souvent chez Musset, le poète, avant d’aller ballader à la lune, nous offre cette conversation profonde avec sa muse, comme conscience qui a pleuré et qui a subi. Mais qui sait. Qui sait aujourd’hui qu’il faut considérer l’Amour avec non pas toute la haine qu’on serait tenté de lui délivrer, mais toute l’envergure de ce qu’il vous aura appris. Musset, donc. Du grand Musset à travers les rimes. Du grand chagrin poétisé. Des cendres, bribes des légèretés d’Amour, reviennent les souvenirs douloureux. « Le mal dont j’ai souffert s’est enfui comme un rêve » nous dit-il premièrement. « Je n'en puis comparer le lointain souvenir / Qu'à ces brouillards légers que l'aurore soulève, / Et qu'avec la rosée on voit s'évanouir. » Si tant est qu’au matin les réminiscences s’envolent et ne restent pas. Et la Muse vient l’écouter. Il lui faudra se confier à elle pour extirper de l’âme les dernières scories d’une lave délicieuse dans laquelle on croyait ne pas pouvoir se brûler ; flamme étrange et vivace qui n’animent que les cœurs vaillants d’aimer.

« C'était un mal vulgaire et bien connu des hommes ; / Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le cœur, / Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes, / Que personne avant nous n'a senti la douleur. » Déjà Musset l’exprime : Ce mal est une singularité. Une subjectivité, qui aura caressé d’une plume et d’un couteau les espérances. « S'il fallait maintenant parler de ma souffrance, / Je ne sais trop quel nom elle devrait porter, / Si c'est amour, folie, orgueil, expérience, / Ni si personne au monde en pourrait profiter. » Comment ne pas, par la profondeur du vers et la justesse de ce dernier, ne pas s’introspecter et voir tous les profondes amourettes et amours certains pour lesquels on aurait donné plus d’une nuit à pleurer pourvu qu’un sourire perce de l’âme dont on s’énamoure ? Il faudra à Musset, selon la Muse, parler sans amour et sans haine. Ce fameux « recul » contemporain, qu’il faudrait aux cœurs qui aiment ou ont aimé, pour parler du sujet de leurs amours, sans avoir à ternir d’ocre trop obscure leurs portraits. « C'est une femme à qui je fus soumis, / Comme le serf l'est à son maître. / Joug détesté ! c'est par là que mon cœur / Perdit sa force et sa jeunesse ; - / Et cependant, auprès de ma maîtresse, J'avais entrevu le bonheur. / Près du ruisseau, quand nous marchions ensemble, / Le soir, sur le sable argentin, / Quand devant nous le blanc spectre du tremble / De loin nous montrait le chemin ; Je vois encore, aux rayons de la lune, Ce beau corps plier dans mes bras... » Et là, les plus expérimentés d’entre nous, même celles et ceux que l’âge aura saupoudré la chevelure d’une lumière blanche, se souviennent forcément des occasions manquées, vécues, ou abolies, dont il se faut souvenir quand les soirs de pluie, l’ennui vient les séduire, encore une fois. Les fameuses « passantes » d’Antoine Pol, chantées par Brassens, et celles qui n’ont pas fait que passer ! Celles qui ont marqué, celles qui ont trompé, celles qui ont aimé. Toutes ces flammes fugaces que la Vie nous aura fait immortaliser dans l’ouvrage de notre Mémoire. Oui, ce beau corps qu’on voyait plier dans ses bras, aux soirs et journées d’Amour que la pluie, moins félonne, nous faisait consommer ensemble, à cette époque préservée des pragmatismes assommants.

« Je n'aimais qu'elle au monde, et vivre un jour sans elle / Me semblait un destin plus affreux que la mort. » . Et pourtant, le Destin lui aura imposé. Le sceau de la Fatalité n’accorde pas de répit et son serviteur, le Temps, que la faucheuse observe sadiquement, vient parfois nous faire plier à sa volonté. Qu’il est difficile, le choix, quand on aime ! Et Musset le sait bien. Ce destin, « plus affreux que la Mort » il l’aura goûté et de gré ou de force, aura dû se faire machinalement à sa cigüe, comme Mithridate ou Socrate. Quand on aime, on ne philosophe plus. On est trop occupé à aimer l’être plutôt que la sagesse, on le rêve même parfois. Et d’ailleurs on l’oublie ! Quelles imprudences, en son nom, n’aura-t-on pas commises ?! Amour, quand il invite au pas de sa porte, laisse Sagesse frapper à la clôture, en espérant qu’elle s’en aille plus vite qu’elle est venue. « Honte à toi qui la première / M'as appris la trahison, / Et d'horreur et de colère / M'as fait perdre la raison ! » Car oui, tout Amour qui voit sa fin laisse à ses apôtres un fond de colère et de bile à expurger. Une forme d’espérance rêvée et poétisée par le cœur, qui a fait taire l’esprit par son effervescence. La Muse toutefois, sait rappeler Musset, et les autres disciples de Cupidon, à la raison et implore d’ouvrir les yeux : « N'outrage pas ce jour lorsque tu parles d'elle ; / Si tu veux être aimé, respecte ton amour. / Si l'effort est trop grand pour la faiblesse humaine / De pardonner les maux qui nous viennent d'autrui, / Épargne-toi du moins le tourment de la haine ; / À défaut du pardon, laisse venir l'oubli. » Il est des âmes qui savent laisser partir l’Amour et son espoir. Quand l’autre trahit, cela paraît, dans l’immense douleur, comme une plus candide simplicité. Quand il ne trahit pas, c’est avec les instruments d’Amour qu’il vous faut cautériser le cœur que vous aimez. Et cela déchire des âmes plus résistantes que les chênes sous le poids des vents. L’ignorance a des fins de bienfaits. Mais on n’oublie jamais. « Plains-la ! Continuera la Muse, c'est une femme, et Dieu t'a fait, près d'elle, Deviner, en souffrant, le secret des heureux. / Sa tâche fut pénible ; elle t'aimait peut-être ; […] / Elle savait la vie, et te l'a fait connaître ». C’est là le vif talent de la plume de Musset, qui nous enchante. Il ne touche pas seulement nos âmes, il touche nos tripes. C’est d’elles d’ailleurs qu’émanent les souvenirs perdus, et échoués ça et là, devant les espérances de l’existence. Mais, à la fin… On sait, le pouvoir pédagogique de l’Amour qui finit pour qui en saisit le suc de la leçon. Ô, pour sûr, elle paraît impossible à apprendre. Mais le jour où l’on sait la réciter, on lui dit, comme à Maman d’avoir trop rouspété, un immense Merci. Il dira aussi:

« Je te bannis de ma mémoire,

Reste d'un amour insensé,

Mystérieuse et sombre histoire

Qui dormiras dans le passé !

Et toi qui, jadis, d'une amie

Portas la forme et le doux nom,

L'instant suprême où je t'oublie

Doit être celui du pardon.

Pardonnons nous ; - je romps le charme

Qui nous unissait devant Dieu.

Avec une dernière larme

Reçois un éternel adieu.[...]»

Et le voilà l’optimisme mussétien, qui perce, malgré les lourds nuages d’orages. Il a vu passer l’Amour. Lui, elle l’aura déçu. C’est comme cela. D’autres, se séparent des piliers qui font leur vie. Ces piliers là ne meurent jamais. Ils demeurent. C’est ceux qui vous portent par leurs leçons, précédemment évoquées. Et c’est ceux à qui on pense lorsque la Nuit noire nous empêche de se réjouir de la présence de ciels ensoleillés. « La Nuit d’Octobre » c’est le récit de l’apprentissage de l’Amour et de ses vertus. La rose qui a les pétales et qui a les épines. Vie apprise à aimer, paraît il, sa Sand ou d’autres. Musset est l’enfant du siècle d’un romantisme exacerbé. 2024 a frappé aux portes, et a apporté, pour certaines, certains, hélas ou heureusement, la douleur immense des séparations qu’on ne désire pas. On voit s’agiter le soir, dans les pensées, l’être aimé. On le voit sourire, on le voit vous regarder. Gardez-les, ces souvenirs magiques qui vous ont construit. Sur ces terres fertiles, vous ferez pousser des fleurs.