Les chroniques et les songes

Tous les quinze jours, je vous propose une petite chronique inspirée par un(e) auteur(e) et une œuvre qui me passionnent

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Par Lucas Da Costa
3 juil. · 3 mn à lire
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Britannicus de Jean Racine

Voyage dans la Rome antique, en quête des horizons de plume et d'émotion

Lorsque l’on a soif de grandes émotions à ressentir, il faut lire Racine. Son sens inné du tragique et sa majesté à ciseler le vers pour qu’il nous touche toujours profondément ont particulièrement retenu mon attention. Plus jeune, Jean Racine est élève orphelin à l’abbaye de Port-Royal des champs. Il a perdu très tôt son père. C’est un disciple du jansénisme, doctrine chrétienne relativement exigeante et austère, qui est assez développée au XVIIe siècle et qui s’oppose notamment, de manière assez rigoureuse, à certaines évolutions de l’église. Ses professeurs lui donnent le goût des belles lettres et des beaux mots. Il pourra ainsi filer sur Paris et par le don des lettres et des habiles courtisaneries, se faire une place de choix auprès de la monarchie en place. La Thébaïde sera son premier grand succès au théâtre, en 1664. C’est lui qui donnera, entre autres noms de ce siècle d’or, ses lettres de marque à la tragédie classique, inspirée de l’Antiquité, et qui fut plus tôt théorisée entre autres noms par l’Abbé d’Aubignac et Jean Chapelain, grande figure de l’Académie Française à l’époque, sous Richelieu. La maîtrise du vers, puisque nous en parlions, régit aussi la maîtrise de l’émotion. S’il est tout à fait amateur de représentation de scènes liées à l’Antiquité, Racine fait s’envoler parfaitement l’alexandrin qui ballade de la première syllabe jusqu’à la dernière et même à l’hémistiche la force de l’émotion qu’il passe par le biais de ses pièces. Notons dans Andromaque (1667), à la tirade d’Oreste, l’allitération en -s, c’est à dire la succession d’un son consonantique, « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? ». Le -s permet l’évocation d’un danger et le rappel du son reptilien. Le vers crée alors une certaine angoisse. La pièce dont il me faut vous parler, chers lecteurs, est jouée cinq ans après la Thébaïde, en 1669. Il s’agit de Britannicus.

Alors… pourquoi Britannicus ? Vous connaissez sans nul doute mon attrait pour les grandes émotions ressenties et ma passion pour certaines scènes du passé. Cette pièce nous emmène donc, comme dit, dans l’Antiquité, et plus précisément celle du règne de l’empereur Néron. Néron, ce grand petit empereur, qui fit empoisonner sa mère Agrippine, qui l’avait placé au pouvoir, épousa sa sœur adoptive Octavie, et qui finira par se suicider lorsque tout le monde fut contre lui. Il fait partie de ces empereurs « fin fous » que la Rome antique nous a offert, dans son épanchement de démesure. De plus, mes études m’amenèrent à travailler sur La Vie des douze César de l’écrivain antique Suétone, qui présente la vie des douze plus grands empereurs de Rome, dont Néron, que j’étudiai plus particulièrement. En bref, Racine se consacre, pour la première fois, à l’histoire romaine, dans le cadre de ses tragédies. L’empereur Claudius, père adoptif de Néron, a eu un fils avec Messaline, Britannicus. Néron gouverne dorénavant Rome et son empire. Il tombe alors amoureux, par un drôle de détour et de désir, de Junie, amante de Britannicus. L’empereur va alors la forcer à abandonner son amant. Agrippine, voyant les dérèglements de son fils au pouvoir, va croire pouvoir le convaincre d’arrêter sa folie et se réconcilier avec son frère. Néron semble accepter. Semble seulement puisque les réconciliations organisées par l’empereur seront l’endroit d’un meurtre. Racine nous livre des conversations pleine de rigueur et d’intimité. Par exemple, dans l’acte II, Néron tient la fidélité de Junie à Britannicus dans son poing. Il lui faudra repousser Britannicus. « Sa fortune, dit Néron, dépend de vous plus que de moi. Madame, en le voyant, songez que je vous vois. ». La scène suivante point et voit Junie se fermer devant un Britannicus désarmé, tant sur le plan politique que sentimental : «  BRITANNICUS – Songiez-vous aux douleurs que vous m’alliez coûter ? Vous ne me dîtes rien ? Quel accueil ! Quelle glace ! Est-ce ainsi que vos yeux consolent ma disgrâce?[…] Ménageons les moments de cette heureuse absence [Il parle ici de celle de Néron. Autrement dit : « profitons que le fin fou soit absent pour faire de gros bisous »]. Junie doit laisser Britannicus dans le désarroi et le tourment les plus complets. Elle l’invite même à se retirer. L’empereur approche. C’en est fait. Britannicus est au fait de la rixe qui l’oppose, évidemment, à son frère. Cependant, ce sont bien ici les jeux de pouvoir et les effets qu’il a sur la mentalité humaine, si l’on peut dire, que Racine nous montre ici. Une autre scène offre à Britannicus la possibilité de revoir sa Junie, dans un cadre moins officiel et moins épié. Enfin, c’est ce qu’il pensait. Narcisse est le gouverneur de Britannicus. Toutefois, on sait qu’il joue double-jeu et voue sa fidélité à l’empereur, à qui Narcisse va rapporter les évènements. C’en est fait ! Néron surprendra Britannicus aux pieds de Junie. On met les deux amants aux arrêts. Néron accuse un auteur pour ce complot. Sa mère, Agrippine, est convoquée. Elle devra se justifier de cette odieuse vision. Racine illustre une la vision d’une mère inquiétée par les crimes de son fils et qui réclame justice, mais aussi le revers d’une femme soucieuse de son égo. D’abord, on va croire le fils coopérant. Presque sincère. Et c’est là tout le talent de Racine. Mais il n’en est rien. Néron va confier sa haine à Burrhus, son gouverneur personnel. Narcisse a préparé le poison. Alea Jacta Est. Quelques scènes plus tard, Britannicus est empoisonné, au début du festin organisé pour les réconciliations.

L’illustration de cette Rome dirigée par la folie et voir comment cette dernière se découvre au fur et à mesure de la pièce me passionne tout particulièrement. J’ai dévoré, et ce n’est pas chose aisée pour moi, cette pièce de théâtre avec beaucoup d’intérêt. Racine séduit. On espère de franches retrouvailles entre Britannicus et Junie, mais la seule chose à laquelle le spectateur a droit, c’est la déchéance d’un Néron qui révèle une nature plus brutale et folle. Britannicus, ce sont l’illustration du pouvoir telle qu’on peut la voir dans les séries américaines aujourd’hui. Pouvoir, corrupteur des Hommes. Passion déchaînée, entre pleurs et incompréhension. La force de la fatalité qui écrase nos personnages. Le spectacteur peut espérer, mais on ne le ravira pas. C’est là bien la différence avec les séries d’aujourd’hui ! Point de réapparition ou de joie de yesman ou yeswoman de ressusciter à tort et à travers les personnages qui ont trop saisi le coeur des adolescentes ou des spectateurs tartinant leur fanatisme sur les réseaux. La Mort est la Mort. Néron demeure implacable, personne ne le convaincra, ou presque. Personne ne pourra non plus le persuader. Jean Racine, ou tout le talent d’écriture théâtrale d’un représentant d’un siècle : celui du rayonnement, celui de la Fatalité.