L'épineuse question des réécritures

Quel est le poids aujourd'hui de la notion de réécriture dans nos schémas de pensée?

Les chroniques et les songes
5 min ⋅ 12/01/2025

Parmi les sujets qui excitent le plus la curiosité d’une partie du peuple, il y a ces notions de réécriture. En réalité, c’est une voie commune aujourd’hui que d’exprimer qu’un texte est finalement, implicitement ou explicitement, une somme de réécritures. Tant par le biais de la forme que du fond, par la volonté ( ou pas d’ailleurs) de son auteur, un texte se fonde en réalité sur une culture commune et établie. En poésie, par exemple, reprendre déjà la forme du sonnet ( deux quatrains, trois tercets) ou bien encore la ballade ou le rondeau dans ses formes prescrites est une forme de réécriture. Le sont aussi des textes poétiques modernes s’affranchissant du mètre poétique et qui souhaitent tout de même établir « un clin d’œil » à des formes poétiques considérées par eux comme désuètes ou peu propices à servir leurs intentions. La « réécriture » en elle-même n’existe pas. On parle forcément de réécritures, au pluriel, au sens où les intentions qu’on met derrière ce terme là dépendent des conditions dans lesquelles elles sont réalisées. En entendant réécriture, on peut penser préalablement à un travail de correction. A ce moment-là, on réécrit quelque chose que quelqu’un (ou soi-même) aurait écrit. Ici, on peut éventuellement penser aux travaux de corrections perfectionnistes de Gustave Flaubert sur ses œuvres les plus connues, ou à un éventuel intertexte, théâtral dans l’exemple suivant avec La Critique de l’Ecole des Femmes de Molière, ayant créé une pièce censée traiter de la pièce originale de l’auteur. En parlant de réécriture, on peut également songer à la reprise d’un mythe ou d’un sujet à portée universelle ou symbolique. Ici, on peut penser à la reprise connue et largement ré-ré-ré-ré-étudiée de l’Antigone de Sophocle par Jean Anouilh. (Qu’est-ce que j’en aurais soupé de cette œuvre là… A croire vraiment que la littérature ne se renouvelle pas…) Dans la même idée, les notions de pastiche et de parodie peuvent également rentrer en compte. Au cinéma avec Michel Hazanavicius et en littérature avant cela chez Jean Bruce, OSS117 aura pastiché le grand 007.

La notion de réécritures invite forcément celui qui en est le destinataire, mais aussi celui qui l’écrit, à une considération vis-à-vis d’une œuvre ou d’un référentiel déjà préétabli dont on ne se doute pas forcément au moment où on l’écrit. Rares sont ceux qui savent que les fameuses fables de Jean de la Fontaine sont inspirées d’une tradition ancrée par Esope, auteur grec antique inventeur de la fable. Cette tradition, perpétuée par Phèdre, d’abord, Marie de France ensuite, notamment avec ses lais, revient entre les mains de La Fontaine. Exemple par le texte. Voici une fable d’Esope, nommée « Du Loup et de la Grue » :

Un Loup s’étant enfoncé par hasard un os dans la gorge, promit une récompense à la Grue, si elle voulait avec son bec retirer cet os, dont il se sentait incommodé. Après qu’elle lui eut rendu ce bon office, elle lui demanda le salaire dont ils étaient convenus. Mais le Loup avec un rire moqueur et grinçant les dents : Contentez-vous, lui dit-il, d’avoir retiré votre tête saine et sauve de la gueule du Loup, et de n’avoir pas éprouvé à vos dépens combien ses dents sont aiguës".

Voici maintenant une fable de La Fontaine nommée « Le Loup et la cigogne » :

Les Loups mangent gloutonnement.
Un Loup donc étant de frairie
Se pressa, dit-on, tellement
Qu’il en pensa perdre la vie :
Un os lui demeura bien avant au gosier.
De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier,
Près de là passe une Cigogne.
Il lui fait signe ; elle accourt.
Voilà l’Opératrice aussitôt en besogne.
Elle retira l’os ; puis, pour un si bon tour,
Elle demanda son salaire.
« Votre salaire ? dit le Loup :
Vous riez, ma bonne commère !
Quoi ? ce n’est pas encor beaucoup
D’avoir de mon gosier retiré votre cou ?
Allez, vous êtes une ingrate :
Ne tombez jamais sous ma patte.  »

Ici, si l’on remarque que La Fontaine reprend l’intrigue et les personnages de la fable d’Esope, il transforme la prose d’Esope en vers, et accentue le comportement de prédation du Loup. Ainsi, le propre des réécritures est soit de moderniser ou d’apposer une certaine patte propre à l’auteur. Dans le cas évoqué juste avant, La Fontaine orientait davantage la morale de ses fables et tendait à effectuer, par le traitement des animaux, une fresque de la cour du XVIIe siècle. En cela, il reprenait indirectement la vision du savant Daniel Huet selon laquelle une leçon apprise devait toujours être enrobée de miel. Autrement dit, une leçon est trop âpre si elle n’est pas ingérée par le biais de quelque chose qui attire la curiosité ou la gourmandise. Dans un contexte beaucoup plus vulgaire, voyez ce médicament que l’on doit donner à toutou que l’on enrobe de fromage pour qu’il l’avale sans faire de caprice. Dans un autre style, nous pouvons repenser aux règles aristotéliciennes qui ont fait la gloire du théâtre classiciste du XVIIe siècle.

En règle générale, la notion de réécriture conçue en elle-même est plus que saine puisqu’elle invite à recomposer des classiques et des topoï imprégnés dans notre culture commune pour y réinsérer une originalité ( tant dans la forme que dans le fond) et/ou un message particulier, et/ou une révision de la langue au sens strict. Elle permet aussi parfois de rendre hommage ou d’impliquer davantage un lecteur moderne dans une morale commune ayant cours depuis l’Antiquité. ( On reprendra ici pour exemple l’intertexte de saga telles que Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux). Toute réécriture est plus que saine dans la seule et unique mesure qu’elles ne substituent pas les fonctions originelles du texte qu’elles réécrivent. On a vu, ces dernières années, quelques scandales littéraires sur le plan de « la morale ». Pour ne citer qu’eux, les fameux Dix petits nègres d’Agatha Christie rebaptisés dans une nouvelle traduction française Ils étaient dix, ou bien encore les éditions anglaises de Charlie et la Chocolaterie qui ont réécrit certains passages de Roald Dahl pour que ces histoires « continuent d’être appréciées par tous les enfants d’aujourd’hui »1. Sur le plan de la correction, on peut aussi citer les dernières volontés de Disney d’avoir modifié l’aspect corporel des indiens qui figuraient dans l’attraction “Peter Pan”. Ces derniers représentés avec de très gros nez ou des faces méchantes, ont été poncés par la lime du politiquement correct. Déjà sur sa plateforme de vidéo à la demande éponyme, Disney émettait des avis sur les représentations du passé. Je les cite : "Ce programme comprend des représentations datées et/ou un traitement négatif des personnes ou des cultures", mais aussi "ces stéréotypes étaient déplacés à l’époque et le sont encore aujourd’hui"2.

Il n’y a pas de réécritures qui permettent, en soi, de sauver notre conscience. Aucune traduction, aucun hommage, aucune correction ne peut modifier le passé. Et on passe notre temps, dans un tout autre cadre beaucoup plus thérapeutique, à nous le rappeler. Seulement, si l’on ne peut pas, et j’ose même dire si l’on ne doit pas le modifier, on peut tout en apprendre. Et de nouvelles écritures peuvent se charger de cette pédagogie. Maintenant, il appartient aussi au génie de notre époque – si tant est qu’il prenne la sage décision de toujours s’illustrer comme tel – de pouvoir insérer sporadiquement d’autres représentations. Et je crois qu’on ne m’a pas attendu, bienheureusement. C’est déjà le cas. Il faut aussi que cela ne prenne pas le pas sur la qualité de la représentation en elle-même. Voir des commissaires noirs et des femmes mafieuses ! C’est là aussi ce que j’attends, pourvu que cela soit bien fait. Mais on peut se poser la question, eut égard à notre questionnement originel sur les réécritures, de savoir si ce dernier doit être réalisé dans un matériau original. Le serait-il seulement, de fait? Beaucoup se demandent pourquoi on cherche à mettre des 007 féminines lorsque le héros stéréotypique de Ian Fleming est un masculin tombeur de ces dames. Certains investissent davantage dans l’idée de réaliser cette nouvelle agente des services secrets digne des plus belles représentations de femmes indépendantes de notre époque. Et je crois abonder. Finalement, pourquoi vouloir appliquer un calque sur une image préexistante au risque que celui ou celle qui investisse ce costume ne fasse que l’agrandir sempiternellement? Quelconque production ne pourrait-elle pas s’affranchir de ce principe de réécriture? J’attends également, toute revendication mise à part, qu’on n’élise ou ne choisisse pas telle ou telle personne du fait de son origine plutôt que du fait de son talent. Et sur ce point, je pense que notre époque a encore besoin de muter davantage pour qu’on comprenne à quel point la nuance doit prendre possession du plus précieux de nos avis. Avis toujours nés prématurés et ployant sous le poids le plus acide de nos émotions et de nos égos, gâchant le recul que l’on devrait tous avoir sur n’importe lequel des sujets qui animent nos sociétés contemporaines, et qui fait pourtant le suc divin d’une argumentation fiable et sensée.

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1Source : France Info Radio France ( voir : https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/jeunesse/les-livres-de-roald-dahl-l-auteur-de-charlie-et-la-chocolaterie-reeecrits-pour-en-retirer-les-expressions-sensibles-dans-les-editions-en-anglais_5671343.html )

2Source : Europe 1 ( voir https://www.europe1.fr/culture/peter-pan-dumbo-la-mise-en-garde-de-disney-contre-le-racisme-dans-ses-films-3999613 )

Les chroniques et les songes

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Par Lucas Da Costa

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