Un peu d'affranchissement...
Il était temps, me direz vous ! Tant de chroniques déjà publiées et pas une seule qui pourrait réveiller les polissonneries et l’envie de poser de moins chastes regards sur des questions plus tempétueuses. Il faut tout de même bien que l’on en vienne, à un moment, à parler de ce qui, en plus de l’argent, motive l’Humanité ! Oui, vous l’aurez compris… On va parler … liberté. Mais à quoi diable avez-vous pensé ? Croyiez vous que l’on en resterait à parler de ces roués du XVIIIe siècle qui font, entre eux, et pour déjà honorer Carlos, « Big bisous » ? Aujourd’hui, je vous parle du libertinage au sens du XVIIe siècle. Rassurez vous, pour les nostalgiques du « Big bisou », « les timides et les maladroits n’osaient déjà pas faire le premier pas ». Quoique. J’ai à cœur de vous parler de cette notion, car elle m’est chère, et rejoint indirectement toute cette tradition d’émancipation et d’auteurs un peu moins connus que j’ai plaisir à visiter et à vous révéler, de cette petite bohème libertine, au bousingo de 1830.
Déjà, et pour que tout soit clair, il faut définir le libertinage. Au sens du XVIIe siècle, le libertin est celui qui s’affranchit de la religion. Il s’agit donc de préciser qu’est libertin une personne qui remet en cause l’« ordre établi » en matière de morale religieuse. Rien à voir à première vue avec la licence sexuelle. Pourquoi tant s’attacher à remettre en cause la religion ? Eh bien parce que le XVIIe siècle est surnommé par certains « le siècle des saints ». Comment ne pas citer les érudits de Port-Royal, ou encore les prédicateurs Fénelon et Bossuet ? Ainsi, dès le début du XVIIe siècle, on prenait plaisir à aller de la sainteté jusqu’au libertinage. On pointait alors déjà la débauche de la cour bien avant La Fontaine. Entre l’assassinat d’Henri IV en 1610 et l’avènement de Richelieu en 1630, quelques auteurs font leur apparition. Leur principale caractéristique ? Ils rejettent les conventions sociales et mettent au nu une forme de liberté individuelle qui leur est propre et dont ils usent souvent en oubliant la sacro-sainte modération.
Parmi eux, on peut citer Tristan l’Hermite, le romantique avant l’heure, La Mothe Le Vayer, abbé auteur d’un roman burlesque nommé Le Parasite Mormon, Scarron, et son Roman comique, un écrivain qu’on surnomme Chapelle, dans une certaine mesure Saint-Amant, connu pour poétiser le fromage ou le melon, ou bien encore d’Assoucy, le musicien homme de lettres qui fut l’ami (très) intime de Savinien Cyrano. Souvent, ces gens sont hédonistes, ne se refusent aucun plaisir, et vivent très impétueusement leur vie. Marc-Antoine Girard de Saint-Amant se surnommait lui-même « le bon gros », encore un qui ne jure “que par la coupe”, “en lâchant un rot”. En cela, on peut déjà dire que dans ce libertinage d’esprit a été semé quelques licencieuses graines qui verront pousser d’honnêtes boutons que viendront lécher les libertins du XVIIIe siècle. L’un des premiers libertins érudits se nomme Pierre Gassendi. C’est un mathématicien et homme d’église desquels vont tirer d’honnêtes leçons d’indépendance des hommes comme Cyrano. Il emboîte très rapidement le pas à des auteurs tels que Théophile de Viau. Un temps protégé de Louis XIII, ce dernier fut chassé pour mœurs licencieuses et homosexualité. Certains entretiennent des liens plus ou moins étroits avec les hommes et femmes de pouvoir. C’est le cas de Tristan l’Hermite, qui, après avoir été page pour le fils d’Henri IV, servit aux côtés de Gaston d’Orléans, le frère de Louis XIII. Tous ne revendiquent pas avec la même ferveur ce libertinage. Des gens comme Chapelle, que nous avons cités, entretenaient des relations avec d’autres grands noms du siècle comme Nicolas Boileau, qui avait théorisé les règles du théâtre classique dans son Art Poétique, ou encore le fabuliste La Fontaine, qui voit se rencontrer une cigale et une fourmi. Nicolas Boileau avait en horreur Saint-Amant, prétextant que cet homme n’avait « de génie que dans les ouvrages de débauche et de satire ». On comprend donc bien vite que les libertins étaient, déjà à l’époque, une couche impopulaire, que les plus chastes critiquaient ouvertement, mais dont certains aimaient tout de même faire compagnie.
Le libertinage d’esprit est souvent associé, artistiquement parlant, à la période baroque, et à une remise en question de la religion. Savinien Cyrano, que nous avions évoqué, l’a montré dans ses Etats et Empires de la Lune et du Soleil, mais aussi à une remise en question des règles dites classiques. L’emprunte du burlesque, chez Scarron ou Saint-Amant par exemple, témoigne d’un éloignement de la fameuse roue de Virgile qui caractérisait les différents genres, qu’il était mal vu de mélanger à l’époque. Une remise en question des règles classiques que maintiendront par la suite Pierre Corneille par son théâtre, puis Diderot, puis Hugo, je ne vous refais pas le schéma d’affranchissement que j’ai déjà présenté. Pour autant, c’est bien le classicisme qui l’emporte à la fin du XVIIe siècle. Il enrubanne l’art avec prestige et nous laisse, avec Le Nôtre, sa forte emprunte dans la rigueur de la présentation des jardins de Versailles, ou de son château avec Le Vau. Pourtant, ce libertinage ne mourra jamais vraiment, et sera repris, comme dit, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle où il est repris au pied de la lettre par des courtisans et autres nobles qui s’en donnent à cœur joie sexuellement. D’ailleurs, c’est bien de cette dernière emprunte dont on a gardé l’idée aujourd’hui. Et je le regrette, en partie. Il est fort plaisant de constater que l’on s’amuse en s’affranchissant des règles, mais j’aime à me penser libertin, au sens que le XVIIe siècle l’entendait. Et puisque notre hypocrite modernité se pare du faux précieux des mœurs de cour classiques, il me plaît, comme une habitude, de toujours mettre un coup de pied dans les fourmilières. Savinien aurait été fier.
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