Camille Claudel: être une artiste au XIXe siècle

Plongée dans la biographie romancée de la sculptrice par les créatrices italiennes Monica Foggia et Martina Marzadori

Les chroniques et les songes
4 min ⋅ 15/12/2024

Il m’est venu la nécessité de me replonger dans l’univers poétique et entraînant de la Bande-Dessinée. Les dessins sont parfois un moyen de satisfaire une imagination qui se plaît souvent dans un cadre plus expressif de modèles. J’avais envie, aujourd’hui, de vous parler d’une courte BD qui se lit avec le plaisir des yeux, et le ravissement du cœur. Elle traite de l’une des plus grandes sculptrices du XIXe siècle. C’est une preuve de grand courage de s’insérer dans le milieu de l’art à cette époque quand on est une femme. Tant de stéréotypes bâillonnent encore les capacités d’une femme. L’expression, le talent, et la sensibilité sont pourtant trois grandes notions qu’a su intégrer Camille Claudel au sein de son œuvre. La production est italienne et signée Monica Foggia à l’écriture et Martina Marzadori au dessin. Elle se propose de vous faire voyager dans un XIXe siècle où la jeune Camille Claudel va tenter de s’imposer en tant que sculptrice. Mais qui est Camille Claudel ? Camille Claudel est une sensibilité exacerbée qui a imprégné des émotions à travers la réalisation de sculptures. Selon les mots de Foggia, elle prétend « sculpter la dimension tragique de l’existence », ainsi que « le mystère intérieur » et les imperfections de l’être. Ses plus grandes œuvres sont La jeune fille à la gerbe, en terre cuite, Clotho, une en marbre et une en plâtre, et évidemment Sakountala ou Vertumne et Pomone. L’écrivain Octave Mirbeau est un des soutiens les plus manifestes de l’artiste. Elle gagne des commandes de l’Etat qui lui permettent de vivre plus décemment, mais elle accuse souvent des soucis de paiement en totalité. Elle est la sœur de l’écrivain Paul Claudel qui, malgré une forte relation qui les unit, se délitera au fur et à mesure de la descente aux enfers de Camille. Deux œuvres permettent de repopulariser son œuvre au milieu des années 1980, un livre d’Anne Delbée, Une femme, Camille Claudel, et un film , Camille Claudel, de Bruno Nuytten (1988). Elle est la collaboratrice et maîtresse de l’artiste Auguste Rodin, dont la relation oscillera entre grandes rencontres enamourées admiratives et ignorance de la part du sculpteur.

Monica Foggia imprime une écriture extrêmement sensible et poétique à la BD qui correspond finalement bien à l’univers de Camille Claudel. Elle raconte la relation difficile qu’elle entretint avec une mère qui tenta de la détourner de son objectif artistique, et les différents conflits qui éclatèrent concernant ce point. Une mère assez acariâtre qui s’opposait vivement à son mari, qui lui soutenait sa fille et son talent. Un jour, Camille dessine sa mère, et Foggia écrit : « De tes grands yeux, j’ai saisi la douleur secrète. De ton corps, l’esprit de résignation. De tes mains, l’abnégation complète. J’ai toujours pensé que tu me détestais parce que je n’avais pas voulu me soumettre comme toi tu l’avais fait. Mais avec le temps, j’ai compris qu’au fond tu m’enviais. Parce que je n’étais pas comme toi. ». Les mots sont particulièrement difficiles, mais ils touchent savamment. Le coeur est bousculé, mais l’oeil est retenu. Camille parvient à monter à Paris grâce au soutien de son père. Les deux auteures de la BD montrent à quel point l’insertion de l’artiste dans un monde immensément masculin fut complexe. La rencontre avec Auguste Rodin est polarisée. Elle est presque présentée comme le point de départ de l’errance de Camille, qui craignait que Rodin soit jaloux de son art et voulut se le revendiquer pour lui. Les dessins de Martina Marzadori expriment bien cet état de faits. Ayant créé un atelier où les femmes pouvaient créer librement, certaines d’entre elles fustigèrent Camille comme « la préférée de Rodin ». L’errance de Camille, notamment lorsqu’elle est sujette à ses avortements, est assez bien retranscrite par l’utilisation d’un jeu de contraste entre la lumière et l’ombre qui closent le peu de bonheur que ressentira Camille. La relation avec Auguste fut passionnelle, bien que Rodin refusa toujours le mariage, étant déjà en couple avec une autre femme qu’il épousera bien plus tardivement. Le fait qu’elle soit reléguée au rang de simple maîtresse, parfois esseulée, et très honnêtement, utilisée pour les petits plaisirs du sculpteur ajouté à l’incertaine jalousie de Rodin la feront, en 1912, détruire un certain nombre de ses œuvres. Son mode de vie devient presque celui d’un ermite où elle ne sort quasiment que pour aller chercher une modeste nourriture, s’enfermant dans ses enfers et ses créations. Elle est internée de force par sa famille à l’âge de 45 ans. C’est le dernier clou sur le cercueil de Camille.

J’ai accusé certaines difficultés à rentrer d’emblée dans le style de dessin de Marzadori. Il ne m’a pas emporté comme celui qu’avaient impulsé Dytar et Bollée pour Les Illuminés. Le style de Foggia m’a en revanche beaucoup plus saisi. On sent une plume poétique et teintée d’une certaine mélancolie lorsqu’il s’agit de traiter les évènements les plus compliqués de la vie de la sculptrice. Marzadori, il faut le reconnaître, se joint parfois à la poésie ambiante de l’œuvre, lorsqu’elle traduit la disparition du dessin de sa mère, les disputes complexes, ou bien encore la passion destructrice qu’unissait Camille à Rodin.

Signe plutôt positif, on en vient vite à regretter l’aspect court de l’œuvre qui appelle à elle le lecteur pour m’immiscer davantage dans la vie de Camille. En d’autres termes, on en veut encore et l’apposition d’une courte biographie de l’artiste à la fin du bouquin n’est pas de trop. Certains mots personnels de Foggia sont insérés et ils sont loin de dénaturer l’ambiance générale du livre. On sent l’implication des auteures. Foggia parle de « biographie romancée », une expression reprise en partie sur la quatrième de couverture qui évoque une « magnifique biographie illustrée ». Je ne pourrai dire mieux de cette production qui m’a donné envie de plonger davantage dans l’univers profond et tragique de la sculptrice. En signe de Coda, rappelons la plume de Foggia : « Je voudrais que toi aussi tu sentes le parfum des promesses. ».

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Par Lucas Da Costa

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